L'ordinateur
Il y avait deux ans que la multinationale attendait cet ordinateur unique au monde qui devait résoudre tous ses problèmes de gestion - et elle en avait de plus en plus.
Imposante, hautaine dans la simplicité plastique de sa formidable complexité interne, l'énorme machine électronique avait des facultés illimitées, des pouvoirs surprenants, des possibilités innombrables. Elle aurait pu remplacer des services au grand complet, une armée de comptables, n'importe quelle fournée de directeurs et aucune question de gestion, aucun problème apparemment insoluble ne pouvait la prendre de court.
Mais dès son installation dans les bureaux de l'entreprise, c'est elle qui prit les responsables de court en leur signifiant qu'elle ne se mettrait en activité qu'à la seule condition d'être officiellement syndiquée et affiliée pour la Sécurité sociale. Le lendemain, ayant obtenu satisfaction, elle se mit en grève parce que le local où elle était entreposée ne lui plaisait pas. On la déplaça d'un étage, on, lui trouva une pièce plus spacieuse où elle exigea la présence à plein temps d'une secrétaire particulière qu'elle voulait aussi compétente que séduisante. Cette requête inquiéta si bien la direction qu'on jugea nécessaire de confier l'ordinateur aux bons soins d'un psychanalyste. Et l'ordinateur devait dissimuler dans ses entrailles des trésors de complexes et de complexités embrouillées, car les séances d'analyse duraient de neuf heures du matin à seize heures.
Une semaine plus tard, l'entreprise vendait à bas prix la machine si perfectionnée à une *firme concurrente dont elle voulait depuis longtemps la peau.
*firme = entreprise commerciale ou industrielle